Gevrey-Chambertin : Les Premiers Crus, ces challengers silencieux des Grands Crus

03/07/2025

Gevrey-Chambertin : entre puissance historique et diversité de terroirs

Il suffit de traverser à pied le finage de Gevrey-Chambertin, au nord de la Côte de Nuits, pour saisir à quel point la notion de « rivalité » entre Premiers et Grands Crus n’est pas un hasard : la mosaïque des sols y est saisissante. L’appellation comprend 26 climats classés Premier Cru, encadrant les 9 Grands Crus (source : BIVB). Du nord, où règnent fraîcheur et finesse, au sud, gages de vinosité, la diversité est immense.

  • Superficie totale de l’appellation : 409 hectares (dont 87 hectares de Premiers Crus, soit plus de 20% de l’aire géographique de Gevrey).
  • Climats Premiers Crus phares : Clos Saint-Jacques, Cazetiers, Lavaux Saint-Jacques, Champeaux, Fonteny, Combe aux Moines.
  • Altitude : de 250 à 350 mètres, selon les lieux-dits.

L’histoire du classement n’est d’ailleurs pas purement « qualitative » : l’AOC, officialisée en 1936, reprend la hiérarchie définie dès le XIX siècle — fortement influencée par les prix des vins à la vente et la réputation de certains propriétaires (Claude Courtepee, 1771 ; Dr Lavalle, 1855).

Qu’est-ce qu’un Premier Cru peut réellement valoir un Grand Cru ?

Il y a la théorie… et la réalité dans le verre. Un Grand Cru bourguignon, ce sont des parcelles sélectionnées pour leur singularité et leur capacité à produire des vins de haute expression, avec un décret d’AOC encore plus strict. Toutefois, la dégustation révèle une autre histoire, à rebours parfois des classements :

  • Certains Premiers Crus présentent une complexité aromatique, une longévité et une densité de bouche souvent comparables à des Grands Crus.
  • Leurs prix, même s’ils s’envolent pour les meilleurs, restent inférieurs à ceux des Grands Crus (parfois du simple au triple), offrant un rapport qualité-prix étincelant (source : Wine Searcher, 2023).

En dégustation à l’aveugle, de nombreux sommeliers et critiques l’affirment : un Clos Saint-Jacques d’une grande année — et signé par une grande maison (Rousseau, Fourrier, Esmonin…) — rivalise sans pâlir avec un Charmes-Chambertin ou un Mazoyères-Chambertin (source : La Revue du Vin de France n°650).

Quand la géologie explique tout : la frontière invisible des terroirs

Qu’est-ce qui fait la grandeur d’une parcelle ? Sur ce pan de côte, tout se joue sur quelques dizaines de mètres, un changement d’exposition, un affleurement de marnes blanches ou la profondeur des sols bruns calcaires.

  • Les Premiers Crus du nord (Clos Saint-Jacques, Lavaux Saint-Jacques, Estournelles Saint-Jacques) bénéficient du prolongement parfait de la pente et du sous-sol calcaire des Grands Crus, juste séparés par un chemin ou un ruisseau.
  • L’oxygénation du sol et le drainage optimisé assurent à la vigne un stress modéré, gage de concentration des baies.
  • La Combe Lavaux influe grandement, en apportant fraîcheur et flux d’air, essentiels dans les années chaudes (voir Vignerons de Gevrey-Chambertin, dossier terroirs 2022).

A titre d’exemple, la parcelle du Clos Saint-Jacques a longtemps été pressentie pour entrer dans le giron des Grands Crus lors du classement de 1936. Ce sont essentiellement des rivalités de propriétaires et des arbitrages historiques qui lui ôtèrent ce statut, bien plus qu'une infériorité de terroir.

Étude de cas : Clos Saint-Jacques, le Premier Cru qui fait trembler les Grands

Rares sont les Premiers Crus bourguignons à susciter autant de convoitise. Seulement 6,6 hectares sur ce climat orienté plein est, sur sol de marnes blanches riches en fossiles. Cinq propriétaires s’y partagent la production : Armand Rousseau, Sylvie Esmonin, Bruno Clair, Fourrier et Louis Jadot. Leurs vins sont régulièrement notés au-dessus de 95/100 par les grandes revues internationales (Wine Advocate, Decanter).

  • Capacité de garde : 15 à 30 ans lorsqu’il est bien né.
  • Profil aromatique : fruits rouges, épices, rose, réglisse, puis avec l'âge, des notes de truffe, de cuir, de sous-bois.
  • Vinifications : souvent minutieuses, globalement très peu interventionnistes, extraction délicate, élevage en fûts (30 à 50% de bois neuf).

Il existe un jeu récurrent en dégustation : aligner à l’aveugle des Clos Saint-Jacques face à des Charmes-Chambertin ou Griotte-Chambertin. Les résultats sont frappants : le Clos Saint-Jacques l’emporte souvent, y compris sur plusieurs décennies de vieillissement (études de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, 2016 et 2021).

D’autres Premiers Crus remarquables : Cazetiers, Lavaux et plus encore

Au-delà de ce champion emblématique, plusieurs autres climats Premiers Crus de Gevrey-Chambertin tutoient l’excellence des Grands Crus :

  • Les Cazetiers : 8,5 hectares exposés sud-est, sols caillouteux et pentus. Ils offrent des vins au profil musclé, structurés et élégants, parfois comparés à Mazis-Chambertin pour la profondeur.
  • Lavaux Saint-Jacques : microclimat frais, approche presque montagnarde par son relief, grande complexité et potentiel de garde immense. Très apprécié des amateurs de structure.
  • Combe aux Moines et Champeaux : duo de climats sur argiles épaisses, donnant des vins denses, épicés et longtemps réservés, proches de certaines expressions de Ruchottes-Chambertin.

Intéressant à noter : sur le marché des ventes aux enchères (source : iDealwine 2023), ces quatre climats se négocient parfois à des niveaux proches de « petits » Grands Crus, preuve que le marché leur reconnaît une majeure valeur.

Quand la main du vigneron fait toute la différence

À Gevrey-Chambertin, plus qu’ailleurs, l’équilibre entre terroir et intervention humaine est crucial. Les meilleures signatures — Rousseau, Fourrier, Duroché, Dugat-Py — sont capables de magnifier un Premier Cru pour lui donner la plénitude d’expression d’un Grand Cru.

  • Soins à la vigne (labours, vendanges en vert, respect de la plante) concentrent encore plus la richesse des raisins de ces climats.
  • L’approche en vinification, souvent basée sur l’infusion plutôt que l’extraction, permet de préserver précision, énergie, et finesse tannique.
  • Le vieillissement, finement dosé, sublime la colonne vertébrale de fraîcheur qui caractérise les plus grandes expressions de Gevrey.

Des analyses de dégustations menées sur 20 ans par l’université de Dijon montrent que, toutes choses égales par ailleurs (rendements maîtrisés, méthodes identiques), les plus grands Premiers Crus peuvent surprendre face aux Grands Crus moins bien traités.

Rapport qualité-prix et évolution du marché : un enjeu pour l’amateur

On parle souvent de « bons plans » en Bourgogne : la vérité, c’est qu’ils sont de plus en plus rares. Mais les Premiers Crus de Gevrey-Chambertin restent — de façon relative — plus accessibles que les Grands Crus.

  • Prix au domaine, millésime 2021 : un Clos Saint-Jacques se négocie autour de 350–450€ pour les signatures les plus recherchées, quand un Chambertin ou un Clos de Bèze du même producteur démarre au-delà de 1 000€, parfois jusqu’à 3 000€ (source : prix départ domaine, 2023).
  • Disponibilité : le nombre de bouteilles produites sur certains Premiers Crus (à peine quelques milliers pour Clos Saint-Jacques chez Rousseau) alimente la rareté, mais d’autres Premiers Crus plus confidentiels restent des pépites à découvrir pour moins de 100€.
  • Achat en primeur : la cote de certains Premiers Crus augmente de 30 à 50% entre la sortie du vin et ses 10 ans (données Idealwine), témoignant d’une reconnaissance croissante de leur potentiel d’évolution.

Ce que disent les dégustateurs et les amateurs

La subjectivité du palais est une science imprécise, mais certains retours sont récurrents :

  • Les Premiers Crus réputés de Gevrey-Chambertin séduisent par leur équilibre : puissance sans lourdeur, minéralité tendue, profondeur de fruits, tanins racés.
  • Le vieillissement leur réussit : de nombreux Clos Saint-Jacques ou Lavaux dégustés à 20, 30 ans surpassent largement en complexité certains Grands Crus plus généreux en jeunesse, mais moins persistants.
  • Le mythe du « petit Premier Cru » s’efface devant la réalité du terroir et de la bouteille partagée. De nombreux collecteurs privilégient désormais les hauts de coteaux Premiers Crus aux plus plébiscités des Grands, selon le plaisir du moment.

L’appellatif, une frontière… mais pas un mur

Si le classement en Grands Crus induit un respect certain, les bouteilles de Premiers Crus à la hauteur de leur réputation n’ont plus rien à envier à leurs augustes voisins. La barrière administrative, résultant de compromis anciens, n’a jamais totalement figé la qualité : à Gevrey-Chambertin, les grands terroirs se jouent souvent à quelques mètres, renforçant la légende du village.

Pour les amateurs curieux, la notion de « rivalité » entre Premiers et Grands Crus est bien plus un appel à l’ouverture : une invitation à explorer, comparer et surtout, savourer ce que la Côte de Nuits sait offrir de plus subtil.

Sources principales  : BIVB, Revue du Vin de France, Claude Courtepee, Université de Dijon, iDealwine, Wine Advocate, Dossier Terroirs de Gevrey-Chambertin.

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