Les secrets de la diversité des Premiers Crus de Beaune

27/06/2025

Beaune : une Appellation Village à l’histoire particulière

Première surprise : à lui seul, le vignoble de Beaune concentre plus de 75 % de sa surface en Premiers Crus, soit près de 350 hectares sur environ 410 hectares (source : BIVB, [Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne](https://www.vins-bourgogne.fr)). Aucune autre appellation village n’en compte autant en Bourgogne. Cette « densité première » ne relève pas du hasard : elle traduit l’histoire d’une ville marchande au centre de grands échanges, mais aussi d’une topographie et d’un sol perçus, très tôt, comme à part.

  • Les premières classifications apparaissent dès le Moyen Âge : hospices, moines, bourgeois et marchands rivalisent pour acquérir les meilleurs « climats ».
  • Dès le XIX siècle, le classement réalisé par Jules Lavalle (1855) fait la part belle aux crus de Beaune, certains titrant même « tête de cuvée ».
  • Les Hospices de Beaune, propriétaires historiques, ont modelé la notoriété de ces parcelles et leur valorisation, au fil des siècles.

Mosaïque de climats : l’ADN de la diversité

Qu'est-ce qu’un Climat ?

En Bourgogne, un climat désigne une parcelle précisément délimitée, dont la combinaison de sol, sous-sol, exposition, altitude, microclimat et pratiques culturales génère une identité gustative propre. Beaune en compte près de 42 classés Premier Cru. Au total, ce sont plus de 400 climats sur toute la Côte d’Or. À Beaune, leur densité et leur variété sont particulièrement remarquables.

Exposition et topographie : des pentes à la plaine

Les premiers crus de Beaune s’échelonnent de 220 m à près de 300 m d’altitude, sur le versant Est de la côte. Sur moins de 5 kilomètres, la vigne s’étage depuis la montagne de Beaune jusqu’à la plaine, avec une infinité de déclinaisons, d’ouest en est comme du nord au sud.

  • Haut de coteau (comme Les Grèves ou Les Bressandes) : sols pierreux, calcaires, drainage optimal, maturité tardive, vins tendus et raffinés
  • Milieu de coteau (Clos des Mouches, Les Teurons, Les Avaux…) : argiles mêlées de calcaire, compromis idéal entre puissance et élégance
  • Bas de coteau (Les Epenottes, Les Sceaux) : sols alluvionnaires, plus riches, vins plus délicats, souvent précoces

Sols : géologie, l’autre grand ordonnateur

La diversité des sols impressionne par sa complexité. Sur moins de 2 km de large, alternent :

  • Marnes blanches et calcaires du Jurassique supérieur : souvent sur les hauts (ex : Les Grèves, Les Bressandes)
  • Argiles ferrugineuses : sur le mi-coteau (ex : Clos des Mouches, qui doit son nom aux abeilles, les « mouches », qui venaient butiner sur cette terre chaude)
  • Alluvions et sables : dans le piémont, où la vigne capte l’humidité et donne des Pinots plus souples

Chaque cru est donc tributaire d’une succession géologique. Cette richesse héritée du Jurassique, expliquée dans les travaux de géologues comme Françoise Vannier-Petit, explique pourquoi deux premiers crus voisins produisent des vins profondément différents, jusque dans leur texture.

Le rôle du microclimat et de la topographie locale

La notion même de climat bourguignon implique une grande unicité, y compris sur des distances infimes. À Beaune, l’influence des vents du nord, la proximité de la combe (la vallée creusée dans la côte), ou l’ensoleillement varient significativement, modifiant la maturité, la vigueur de la vigne ou la pression des maladies.

  • Les précoces Clos des Mouches et Champs Pimont présentent des maturités supérieures lors des millésimes chauds, leur exposition sud-est jouant un rôle de four solaire.
  • À l’inverse, Les Marconnets, au nord, profitent d’un microclimat plus frais, donnant des vins réputés plus tendus, à l’acidité plus préservée.

Les vignerons observent qu’à quelques mètres près, la grêle, le gel ou le coup de chaud n’impactent pas tous les rangs avec la même intensité : c’est un jeu subtil, parfois cruel, qui forge cette diversité.

Un patchwork de vignerons : styles et traditions en héritage

La diversité beaunoise se nourrit aussi d’une pluralité d’interprètes. À Beaune, plus de 140 domaines et maisons partagent les quelques 42 premiers crus, chacun avec sa sensibilité.

Fragmentation de la propriété et héritage historique

L’histoire locale, marquée par la Révolution et les successions (notamment la fameuse « Loi Napoléon »), a éclaté les propriétés. Par exemple, le climat Les Grèves appartient aujourd’hui à plus de 50 propriétaires (source : Cadastre). Chacun œuvre selon sa vision :

  • Choix du porte-greffe, densité de plantation, travail des sols (labour, enherbement)
  • Vendange manuelle ou mécanique, sélection des raisins, maturité recherchée
  • Élevage (proportion de fûts neufs, durée, type de chauffe bois)

Deux vins issus d’un même climat, d’un même millésime, présentent donc parfois plus de différences que deux crus voisins issus du même domaine.

Tradition contre innovation : Beaune à l’heure des révolutions douces

Certains Premiers Crus de Beaune s’avèrent de véritables laboratoires. Si la tradition bourguignonne s’affiche d’abord dans une vinification sobre (cuvaison limitée, extraction douce), le XXI siècle voit naître de nouvelles lectures, notamment :

  • Conversion à la bio (plus de 20 % des exploitations en 2022, BIVB), voire à la biodynamie
  • Intégration de grappes entières pour gagner en tension
  • Restriction de l’usage du soufre

Ce sont de toutes petites touches, qui, additionnées à la diversité originelle des climats, accentuent la singularité de chaque cuvée.

Rouges et blancs : les deux visages des premiers crus de Beaune

Contrairement à l’image parfois monolithique du vin de Beaune, les premiers crus révèlent deux identités :

  • Les rouges (Pinot Noir à 85 %) : souplesse, fruité éclatant, tanins fins. Leurs profils varient : ampleur des Teurons, raffinement des Grèves, profondeur des Bressandes, fraîcheur des Marconnets.
  • Les blancs (Chardonnay, environ 15 %) : issus de quelques climats prestigieux (Clos des Mouches, Montrevenots…), ils valent les meilleures appellations de la Côte d’Or, avec leur équilibre de race, d’opulence et de tension saline.

Une anecdote révélatrice : le Clos des Mouches, fameux pour ses deux couleurs, produit selon les années une répartition presque égale entre Chardonnay et Pinot Noir. Les amateurs de blancs puissants et raffinés y trouvent souvent une alternative sérieuse aux grands crus de Meursault ou de Corton-Charlemagne.

Quatre premiers crus pour illustrer la palette

Difficile d’évoquer la diversité beaunoise sans plonger dans quelques exemples précis, révélateurs de l’étendue des styles.

Climat Situation Profil du vin Infos marquantes
Les Grèves Centre du coteau Racés, fins, tannins serrés Plus de 20 ha, morcelé ; cité dès 1820
Clos des Mouches Sud, haut de la pente Ample, floral, beaucoup d’élégance Un des rares premiers crus en rouge et en blanc de même renommée
Les Teurons Sud-est, mi-coteau Richesse, fruit, profondeur 33 propriétaires, très recherché par les négociants
Les Marconnets Nord, sur sols calcaires Fraîcheur, minéralité marquée Vieux mur d’enceinte du XVII siècle

Quelques chiffres et faits qui signent la singularité de Beaune

  • Plus de 42 premiers crus : plus du double de Volnay (16) et 4 fois plus que Pommard (10 !).
  • Superficie moyenne d’un premier cru : 8 hectares, mais certains (Les Boucherottes) font à peine 1 hectare, d’autres (Les Grèves) dépassent 20 hectares.
  • La cité des Hospices : chaque année, la grande vente aux enchères met en avant la diversité des cuvées issues de ces climats (plus de 50 cuvées différentes en 2023).

Perspectives : comment approcher ce kaléidoscope en tant qu’amateur ?

Goûter la diversité beaunoise, c’est accepter la complexité et la surprise. Il faut approcher ce vignoble comme une bibliothèque : chaque cru est un chapitre, chaque domaine une plume. Quelques conseils pour s’y retrouver parmi cette profusion :

  1. Osez la comparaison « horizontalement » sur un même millésime : dégustation de plusieurs premiers crus (par exemple lors de la Fête du Vin de Beaune, tous les ans en novembre).
  2. Repérez les maisons ou domaines qui excellent dans un cru précis, quitte à sortir des sentiers battus : de petits producteurs révèlent parfois de véritables pépites, sous le radar des guides.
  3. N’hésitez pas à tester les blancs, souvent délaissés au profit des rouges : ils offrent une lecture fascinante du terroir beaunois.
  4. Suivez l’évolution dans le temps : les vins de premiers crus de Beaune, s’ils paraissent parfois accessibles jeunes, prennent de l’ampleur avec 6-10 ans de garde.

L’esprit Beaune, un dialogue entre terroir, vigneron et histoire

Si la diversité des premiers crus de Beaune fascine autant, c’est qu’elle procède d’un équilibre fragile, tissé au fil des siècles entre sol, cépages, microclimats et mains de vigneron. De cette infinité de nuances est né un style beaunois, fondateur et fédérateur, mais toujours ouvert à de nouvelles interprétations. Pour l’amateur ou le curieux, cette diversité n’a rien d’un casse-tête : elle est invitation à la découverte, à la conversation — et, souvent, à la passion.

Sources : BIVB, Françoise Vannier-Petit, Hospices de Beaune, Cadastre, « Le Grand Atlas des vignobles de France », Bettane & Desseauve, Observatoire Viticole.

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