Marsannay, un paradoxe bourguignon : comprendre la typicité d'une appellation aux trois couleurs

30/05/2025

Marsannay : une situation géographique singulière

Marsannay-la-Côte, Chenôve, Couchey : ces villages forment le trio de choc du vignoble de Marsannay, à l’extrême nord de la Côte de Nuits. On y trouve environ 230 hectares déclarés à l’appellation Marsannay (BIVB), répartis pour environ 165 hectares en rouge, 37 hectares en blanc, et une quarantaine en rosé.

Le vignoble s’étend sur les derniers reliefs du plateau bourguignon, juste à l’orée sud de Dijon. Cette zone de transition réunit une palette de sols et d’expositions plus diverse qu’il n’y paraît, déterminant en partie la diversité stylistique dont Marsannay fait preuve.

  • Sols majoritaires : Argilo-calcaires à dominance marneuse sur les pentes, éboulis calcaires, rares veines sableuses en pied de coteau.
  • Altitudes : De 255 à plus de 320 mètres selon les parcelles (notamment sur le secteur du Clos du Roy, l’un des plus réputés).
  • Expositions : Globalement sud-est, basse et moyenne côte, certains climats regardant davantage l'est.

L’encépagement, classique pour la Côte d’Or, fait la place belle au pinot noir en rouge, au chardonnay en blanc, mais confère au pinot noir une singularité : une part notable de sa vendange — environ 15 % — est consacrée au rosé, rareté dans le paysage des villages bourguignons.

Une histoire marquée par l’influence dijonnaise et la tradition du rosé

Contrairement à ses voisines plus méridionales, Marsannay a longtemps entretenu des liens étroits avec la ville de Dijon toute proche. Cette proximité a profondément marqué l’évolution de son vignoble — notamment la tradition, depuis le XIXe siècle, d’un "Rosé de Marsannay" qui fut la coqueluche des tables dijonnaises.

On retrouve trace de productions rosées dès 1919 dans les archives municipales. Mais c’est surtout à partir des années 1920-1930 que le style prend son essor, jusqu’à devenir indissociable de l’identité locale. D’ailleurs, si Marsannay a obtenu l’appellation Village en 1987 (source : BIVB), c’est aussi en partie grâce à la reconnaissance officielle de son rosé, unique en Bourgogne à ce niveau d’appellation.

L’histoire récente n’est pas moins mouvementée : la montée en qualité, l’engagement des jeunes générations et la quête de classement en Premiers Crus sont des marqueurs actuels forts de Marsannay (voir La Vigne, 2022).

Marsannay rouge : pinot noir de caractère et nuances septentrionales

Le pinot noir donne à Marsannay rouge son expression la plus répandue, représentant environ 70 % de la production. Qu’est-ce qui distingue ces rouges de ceux, par exemple, de Gevrey-Chambertin ou de Nuits-Saint-Georges ?

  • Couleur : Belle intensité rubis, souvent plus soutenue que dans le sud de la Côte de Nuits, traduisant une bonne maturité phénolique.
  • Nez : Sur la cerise croquante, la fraise écrasée, une pointe de confiture de fruits noirs à l’évolution, parfois une touche florale (pivoine, violette) selon les climats.
  • Bouche : Fraîche, structurée, avec une trame tannique affirmée mais jamais lourde ; la finale offre une salinité, signe souvent d’un terroir bien calcaire.

Quelques climats sortent du lot, comme le Clos du Roy, Les Longeroies, Les Favières ou encore Les Grasses Têtes, tous candidats au futur classement en Premier Cru. Chacun porte la marque de son sol, du plus marneux au plus caillouteux :

  • Clos du Roy : Plus ample et profond, tannins soyeux, une garde enviable (parfois plus de 15 ans).
  • Longeroies : Droiture, éclat du fruit, notes épicées et finale tendue.

La plupart des rouges de Marsannay s’apprécient jeunes pour leur fruit éclatant, mais peuvent surprendre par une belle évolution sur 7-10 ans, parfois bien plus sur les grandes années et les meilleurs sols.

Marsannay blanc : des chardonnays vifs, droits, minéraux

Le Marsannay blanc reste une curiosité confidentielle (environ 20 % de la surface), mais il mérite une attention croissante. Sur des argilo-calcaires moins solaires qu’à Meursault ou Chassagne, le chardonnay développe une expression fraîche, tendue :

  • Nez : Agrumes (pamplemousse jaune, zeste de citron), pomme verte, chèvrefeuille, touche discrète de noisette.
  • Bouche : Droite, minérale, rémanente, avec une acidité fine et souvent une salinité rafraîchissante, marqueur du calcaire du Bajocien (“Comblanchien” local).
  • Élevage : Fréquemment sur lies, parfois en fûts (assez peu de bois neuf, qui pourrait déséquilibrer ce style énergique).

Certains vignerons cherchent d’ailleurs à jouer sur le registre “crayeux” du terroir, en vinifiant sur la tension, tandis que d’autres optent pour un style un peu plus large lorsque le millésime s’y prête.

Le rosé de Marsannay : la griffe d'une tradition retrouvée

Marsannay se distingue surtout par sa tradition du rosé à base majoritaire de pinot noir, une rareté parmi les appellations villages de Bourgogne. Ce vin, longtemps boudé puis remis sur le devant de la scène, fait aujourd’hui la fierté des producteurs locaux.

  • Robe : Rose franc, souvent soutenu, avec parfois une nuance saumonée selon la vinification.
  • Nez : Fruits rouges du verger (cerise burlat, groseille), parfois un soupçon amylique dans la jeunesse (bonbon anglais, poire).
  • Bouche : Ample, fruitée, mais structurée : le style rosé de Marsannay ne cherche pas la simple légèreté, il offre du croquant et une petite charpente tannique.

Les meilleures cuvées, issues parfois de parcelles sélectionnées, possèdent un vrai potentiel gastronomique : charcuteries fines, viandes blanches, cuisine thaï ou même certains fromages régionaux (cité par Le Figaro Vin).

Typicité et diversité : entre expression du terroir et évolution stylistique

Marsannay est aujourd’hui à un tournant de son histoire. Les jeunes vignerons et vigneronnes, souvent formés dans les plus grands domaines de la Côte, réinvestissent les terroirs locaux avec exigence. On constate :

  • Un net retour à la viticulture biologique et biodynamique (16 domaines certifiés ou en conversion sur 45, selon BIVB 2023), traduisant une volonté d’expression pure du terroir.
  • Une cartographie fine des climats : plus de 14 climats candidats au classement en Premier Cru, issus d’un important travail collectif de caractérisation des sols, des expositions et du potentiel sensoriel.
  • Des choix œnologiques mesurés : vendanges majoritairement manuelles, éraflage ou non selon les cuvées, peu d’intrants, maîtrise du bois neuf, allongement des élevages pour les sélections parcellaires.

Les vins de Marsannay ne cessent d’affirmer une élégance pleine de fraicheur, une matière accessible et une diversité de styles : du fruit net et immédiat des jeunes rouges ou rosés, à la profondeur minérale et complexe des meilleurs chardonnays ou des pinots noirs de garde.

Conseils pour apprécier les vins de Marsannay

Pour profiter pleinement de la typicité des Marsannay, quelques astuces :

  • Servir légèrement frais : Un rouge de Marsannay donne sa plus belle palette entre 15 et 16°C, un blanc autour de 12°C, le rosé un peu plus frais sans descendre sous les 9-10°C.
  • Osez la carafe pour les jeunes rouges : Un léger passage en carafe peut assouplir les tanins et révéler la profondeur aromatique des Marsannay issus de climats réputés.
  • Des accords simples ou audacieux :
    • Rouges : volailles rôties, canard, agneau grillé, charcuterie fine.
    • Blancs : poissons de rivière, fromages de chèvre affinés, escargots de Bourgogne.
    • Rosés : tapas, antipasti, salades d’été, plats asiatiques légèrement épicés.
  • Testez le potentiel de garde : Les meilleurs rouges (notamment Clos du Roy, Longeroies) montrent un beau potentiel sur 7 à 15 ans ; les blancs sur 5 à 8 ans, certains rosés jusqu’à 2-3 ans.

Pour aller plus loin : Marsannay, un laboratoire d’avenir pour la Bourgogne ?

L’appellation Marsannay incarne la Bourgogne du XXIe siècle : héritière de traditions, mais pionnière dans sa quête de reconnaissance (en témoignent les démarches de classement en Premier Cru), attentive à son environnement et à sa diversité. Le dynamisme de ses vignerons, la valorisation de ses terroirs et son expérience unique du rosé villageois en font aujourd’hui une référence à (re)découvrir.

Goûter Marsannay, c’est donc entrer en Bourgogne par la porte d’un vignoble ouvert et multiple : un style accessible, une profondeur à explorer, et le plaisir de la découverte – à chaque couleur, à chaque bouteille.

En savoir plus à ce sujet :

Votre guide des vins de Bourgogne, de la vigne au verre