Aux sources de la puissance : l’ADN unique des vins de Pommard

24/05/2025

Un village bourguignon à la personnalité bien trempée

Entre Beaune et Volnay, Pommard s’impose comme un village au caractère assumé. Il suffit de traverser ses ruelles bordées de vieilles pierres, de longer ses vignes aux pieds escarpés, pour percevoir cette singularité palpable. En Bourgogne, les vins du village de Pommard tiennent une réputation précise : celle d’être puissants, structurés, parfois austères dans leur jeunesse, mais dotés d’un potentiel de garde hors pair.

Mais d’où vient cette puissance si singulière, ce « muscle » que l’on retrouve, année après année, même lorsque le millésime privilégie la finesse ailleurs ? Pour comprendre cet ADN puissant, il faut plonger dans l’alchimie complexe qui relie le sol, le climat, le cépage et le savoir-faire des hommes.

La mosaïque des terroirs : l’ossature du goût

Un sol argilo-calcaire, clé de voûte de la structure

Le terroir de Pommard est riche d’une grande diversité géologique. Ici, la vigne est ancrée principalement dans des sols argilo-calcaires, à dominante d’argile ferrugineuse. Selon les études menées par le Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB), cette proportion d’argile, plus importante qu’à Volnay par exemple, joue un rôle prépondérant dans la structure et la densité du vin.

  • Sur les lieux-dits “Les Rugiens” ou “Les Epenots” : les sols sont plus profonds, plus argileux, conférant matière et tanins serrés.
  • Dans le bas du village (proche de la plaine) : l’argile se mêle à des cailloutis calcaires, apportant une minéralité plus fine, mais toujours cette charpente caractéristique.

L’argile a la particularité de retenir l’eau, d’assurer une alimentation régulière à la vigne même pendant les étés secs. Cela favorise la maturation lente et complète du pinot noir, qui développe alors sa pleine palette aromatique tout en conservant une belle fraîcheur – l’équilibre parfait pour supporter une extraction généreuse.

Les combes et pentes : microclimats et intensité

La géographie de Pommard n’est pas uniforme. Certaines vignes, adossées aux côtes, bénéficient de pentes exposées au levant qui favorisent la maturité phénolique. Les vignes de combe, plus fraîches, permettent d’équilibrer la puissance par une acidité naturelle préservée. Cette diversité de microclimats explique la profondeur et la complexité des vins.

On trouve à Pommard deux climats classés en Premier Cru — Les Rugiens au sud, Les Epenots au nord — qui représentent près de 40% de l’appellation (source : BIVB). Ils font figure d’étalon-maître pour la structure, la densité et la capacité de vieillissement des grands Pommard.

Le pinot noir, tout sauf timide à Pommard

Le cépage pinot noir, emblème absolu de la Bourgogne, se révèle à Pommard sous un visage plus robuste, voire viril, que dans la plupart des villages voisins. Pourquoi ? Son adaptation à ce terroir particulier favorise l’expression de tannins fermes, mais aussi une trame fruitée (cerise noire, prune, mûre sauvage) d’une intensité rare.

  • Dans les millésimes solaires, on retrouve une chair charnue, ample, presque grenue.
  • Sur les années fraîches, c’est la tension qui mène le bal, mais jamais au détriment de la structure.

Selon une analyse récente publiée par la Revue La Vigne, le Pinot fin — un clone ancien parfois encore cultivé à Pommard — contribue à cette densité, offrant des petits grains à peau épaisse : la combinaison idéale pour des couleurs soutenues et des tanins marqués.

Des méthodes de vinification traditionnelles, mais exigeantes

Le choix de l’extraction : art et mesure

La réputation de puissance des Pommard ne s’explique pas seulement par la nature des sols et du cépage, mais aussi par le style de vinification adopté. Historiquement, les vignerons de Pommard n’ont jamais hésité à travailler avec une extraction poussée mais maîtrisée.

  • La fermentation se fait souvent en cuves ouvertes, avec un élevage sur marc plus long que la moyenne régionale (jusqu’à 18-25 jours).
  • L’extraction par pigeage (enfoncement du chapeau de marc) et remontage (aspiration et arrosage du chapeau) sont utilisés avec doigté – pour extraire couleur, tannin et arômes variétaux, mais sans brutalité.
  • Un certain nombre de domaines, aujourd’hui encore, vinifient “à l’ancienne”, sans déviance moderne, privilégiant lentement la structure plutôt que la souplesse immédiate.

L’élevage en fût : la patience comme secret

Les plus grands Pommard sont généralement élevés entre 12 et 18 mois en fûts de chêne, parfois avec jusqu’à 30% de bois neuf sur les premiers crus de prestige (source : Domaine de Courcel). L’apport du bois, s’il est bien dosé, vient patiner les tanins, apporter texture et nuances épicées, renforçant la chair sans écraser le fruit.

Une histoire marquée par la notoriété de ses vins robustes

La renommée de Pommard remonte loin : déjà, aux XVIII et XIX siècles, ses vins étaient célèbres pour leur puissance et leur capacité à voyager sans faiblir. Napoléon 1 en fit l’un de ses vins favoris, au point de doter la Cour impériale de plusieurs milliers de bouteilles chaque année (source : BIVB). Dans l’imaginaire collectif, Pommard prend place comme symbole du vin bourguignon « masculin », solide, digne des grandes gardes.

Un chiffre clé souligne cette popularité : au XIX siècle, les vins de Pommard s’exportaient davantage en Grande-Bretagne que tout autre vin de la Côte de Beaune. Les négociants londoniens recherchaient cette fameuse structure, que l’on disait capable de « lutter contre le brouillard ».

Le temps et la garde : la puissance apprivoisée par la patience

Si l’on évoque si souvent la puissance des vins de Pommard, c’est aussi parce qu’elle se manifeste différemment au fil des ans. Sur la jeunesse, le vin présente une fermeté, parfois un côté austère, qui exige quelques années pour se révéler pleinement.

  • Durée de garde classiqueBourgogne générique : 3-5 ansPommard Village : 5-10 ansPommard Premier Cru : 10-25 ans, et parfois davantage sur les grands millésimes (source : Guide Bettane & Desseauve).

Avec le temps, la structure solide du vin s’arrondit, les tanins se polissent et s’intègrent, la palette aromatique s’enrichit de notes de cuir, truffe, sous-bois, tout en conservant puissance et profondeur.

La nouvelle génération : puissance plus, finesse toujours

Aujourd’hui, une palette de jeunes vignerons et de domaines historiques s’attelle à renouveler l’image du Pommard. S’appuyant sur un patrimoine exceptionnel, ils cherchent à conserver la puissance structurelle, tout en œuvrant pour plus de raffinement, moins d’austérité, plus de naturel. Recherche de maturités optimales, écarts moindres entre baies, intervention minimale lors de la vinification, efforts sur l’équilibre acide : autant de leviers pour faire dialoguer puissance et finesse.

Le Pommard moderne garde son identité, mais fait davantage de place à l’élégance et au soyeux. Le millésime 2019 illustre bien cette tendance : des vins expressifs, gourmands, portés par leur structure, mais sans dureté (voir : La Revue du Vin de France, n°652).

Déguster un Pommard : l’art d’apprivoiser la force

Conseils pour la dégustation

  • Carafage recommandé sur les vins jeunes (moins de 5 ans) pour faciliter l’oxygénation et l’expression des arômes.
  • Service : entre 16° et 18°C, pour mettre en valeur la profondeur aromatique sans durcir les tanins.
  • Accords classiques : viandes rouges grillées ou en sauce, gibiers, fromages bien affinés (Époisses, Cîteaux), mais aussi des plats mijotés à base de champignons ou de truffe pour accompagner la maturité aromatique d’un vieux Pommard.

La puissance du Pommard ne doit pas intimider, mais être comprise comme l’invitation à une dégustation patiente, attentive, capable d’embrasser l’évolution du vin au fil des années.

L’empreinte Pommard, signature de la force bourguignonne

Impossible d’en avoir fait le tour sans évoquer la formidable identité d’un Pommard. Sa puissance, enracinée dans la terre rouge et ferme, se fait l’écho d’un village qui n’a jamais renoncé à sa singularité. Ici, la force du sol, du climat, du pinot noir, et du geste vigneron s’additionnent en une signature reconnaissable, inoubliable. Déguster un Pommard aujourd’hui, c’est explorer ce dialogue rare entre chair, tanin, profonde intensité et capacité de vieillissement hors norme — un modèle unique, qui continue d’inspirer et d’émerveiller les amateurs comme les passionnés.

Pour prolonger l’expérience, rien ne vaut la découverte des différentes parcelles et des multiples visages de ce village : de la fougue des Rugiens à la souplesse naissante des Epenots, chaque bouteille offre une nouvelle facette de la « force tranquille » de la Côte de Beaune.

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Votre guide des vins de Bourgogne, de la vigne au verre